Hommage à Philippe
Michel par Jean-Marie Dru
Je viens vous parler de
notre ami Philippe. Chacun dentre-nous sait combien il
a donné à notre métier. Il y a quelque
temps, Marcel Bleustein-Blanchet a dit de Philippe
quil avait un talent incomparable. Il est vrai que
Philippe a eu longtemps raison avant tout le monde. Beaucoup
lont suivi et, comme il aimait lui-même le
souligner, « lépoque a fini par le
rejoindre ». Je suis donc très heureux, et
très honoré, de vous dire ce soir quelques
mots sur tout ce quil nous a apporté. Philippe
était la provocation même. Il connaissait
à lavance le spectacle quon attendait de
lui. La première fois quil les rencontra,
Philippe salua les responsables de Leclerc dun
retentissant « Messieurs les Ayatollah, bonjour ».
Si lapostrophe est célèbre - elle en a
frappé plus dun - lanecdote est
révélatrice : Philippe était un
agitateur didées, un esprit corrosif et
subversif, qui naimait rien autant que
déstabiliser. Renverser lordre des choses. Ce
côté iconoclaste, son art du contre-pied,
étaient peut-être le trait le plus apparent de
son caractère. Mais le plus important était
ailleurs. Philippe était curieux de tout et de tous.
Il sintéressait sincèrement aux autres.
Il voulait connaître leur moteur, savoir ce qui les
poussaient. Conséquence : personne ne donnait
lenvie de se dépasser comme Philippe. Il savait
entraîner ceux qui le côtoyaient sur des chemins
inexplorés. Là où, face à
linconnu chacun se révèle. Je reviendrai
tout à lheure sur le nombre invraisemblable de
talents qui se sont révélés grâce
à lui. Jean Feldman a dit à ce propos,
très joliment : « Cétait la
boîte sur laquelle se frottaient les allumettes
». Il est vrai que Philippe aimait le talent des
autres. Il avait même dit, quelques jours avant sa
disparition : « le talent, cest le talent de
lautre ». Philippe préparait un livre.
Anne thévenet était sa confidente, elle
recueillait ses pensées. Ce livre sera
peut-être publié un jour. On y lira quelques
aphorismes. Jen ai retenu un pour vous. Le voici :
« Lidée, cest quelque chose dont on
a le désir de se souvenir ». On connaît la
quête insatiable de lidée qui
était sienne. Quoi quon lui montre ou lui
propose, un projet, une création, une
stratégie, une seule question
lintéressait, le taraudait : « cest
quoi lidée ? » A force de demander, il a
fini par en donner cette très belle
définition, qui relie la mémoire au
désir. Cest vrai que la publicité est un
catalyseur de souvenirs. Elle crée une mémoire
à la fois intime et collective. De là vient
que nous nous souvenons tous de Myriam. Pour Philippe une
publicité cest un « objet mental »,
(ce sont ses propres mots) qui crée une
déflagration dans le cerveau... un objet mental donc,
qui fait le vide autour delle et laisse la place
à lidée nouvelle. Il ne fallait pas lui
parler de code ou dimage de marque. La réaction
était immédiate. Et violente. Pour lui, le
code est la chose la plus stupide qui ait été
inventée en matière de publicité car,
la forme nest pas le fond et le code nest pas
lidée. A une époque où tout le
monde parlait dimage de marque, de capital de marque,
de comment construire son image, il aimait
répéter : « La publicité
nest pas là pour donner une image, la
publicité est là pour donner une idée
». On a souvent dit que Philippe faisait de la
publicité intellectuelle, on le classait dans le
côté intello de la publicité... Je ne
crois absolument pas cela, je crois que Philippe faisait de
la publicité intelligente, pas forcément au
sens plus intelligent que les autres (même sil
avait une attitude un brin méprisante pour
limbécillité) mais qui était de
lordre de lintelligence avec les gens, au sens
dêtre en intelligence avec eux. Cest ce
quil a lui-même souligné dans la
préface dune recueil du Club des Directeurs
Artistiques. Permettez-moi de lire quelques lignes parmi les
rares quil ait écrites : Vous avez des yeux qui
préfèrent la beauté à la
laideur,croyez-les. Vous avez plus de goût pour le
sourire que pour la morosité, vous navez pas
tort. Vous ressentez lintelligence comme une
qualité et la bêtise comme un défaut,
vous nêtes pas le seul. Vous
préférez être séduits
quagressés, convaincus que racolés, nous
sommes daccord. » Philippe nétait
pas un idéaliste. En tous les cas, pas au sens
premier. Ceci dit, je ne connais pas le mot adéquat
pour définir quelquun toujours en quête
didée, toujours à la recherche
didées, un passionné qui croit que
lIdée avec I majuscule mène le monde.
Parler de la conception quil avait de la
publicité, cest parler de la conception
quil avait du monde. Pour lui, le monde, cest le
monde des idées. Les idées dont Edgar Morin a
dit quelles sont des êtres vivants. Et que
Philippe rêvait de faire naître à chaque
instant. Pour Philippe, le pouvoir était au bout de
lidée comme, pour dautres, il est au bout
du fusil. Et comme les idées nappartiennent
à personne, quelles peuvent surgir par
génération spontanée en une nuit de
travail ou en trois jours de rêverie, le Pouvoir est
à tout le monde. Peut-être connaissait-il cette
jolie pensée américaine : It does not matter
who found the idea, the idea does not care ». Philippe
avait un souci de toujours élever le débat. Il
pensait pouvoir se servir du langage ramassé de la
publicité pour traiter de grands sujets. Cest
dans cet esprit quil avait conçu la campagne
Bébé qui était comme un prémisse
à une nouvelle prise de parole. Cétait
pour lui une sorte de sponsoring. Pas le sponsoring de
bateaux ou déquipes de foot mais le sponsoring
didées. Son projet était ambitieux .Par
exemple il avait écrit une annonce dont le titre
était « Cest dans la Bible, cest
dans le Coran ».
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Hommage de Jean
Feldman
En créant
notre Agence le 1er juillet 1966, avec Philippe
Calleux, nous ne savions pas que nous allions
provoquer lirruption dune nouvelle
génération dagences, les
agences créatives, car toutes animées
par limagination. Pendant vingt ans, nous
avons été turbulents et tapageurs,
une tribu barbare qui entrait sans frapper aux
portes. Nous avions du culot, de la chance, du
talent, des plumes de toutes les couleurs à
nos chapeaux. Nous passions notre temps à
nous quereller, nous étions des
mousquetaires, la publicité était
notre Reine. Mais parmi nous, au milieu du tapage,
il y en avait un qui parlait dune vois douce,
qui racontait avec séduction, qui nous
semblait différent et plus secret. Mais
pourtant, il nhésitait pas à
croiser le fer quand il le fallait, et la victoire
lui a souvent souri. Il était notre Aramis.
Mais dans un duel avec le soleil, il a brisé
sa lame, trop tôt.
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Portrait Philippe
Michel
Stratégies
N°856 - 1989
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suite de l'hommage de
Jean-Marie Dru
Tentative modeste mais
louable pour apporter sa pierre au rapprochement entre
lIslam et lOccident. Philippe rêvait
dune démocratie directe, où les
débats didées se seraient
manifestées au travers daffiches
contradictoires et de pages de quotidien. Des Dazi-baos
à la française et dans les médias. Je
me souviens dun débat houleux entre un grand
patron de presse et Philippe à ce sujet, le premier
accusant le second de vouloir donner à la
publicité un rôle qui ne pouvait être le
sien. Doutrepasser sa mission en quelque sorte.
A cela
Philippe répondait: il est légitime de
chercher à rapprocher les gens, à rapprocher
les peuples par une meilleure compréhension,
elle-même fruit de la communication.
Cétait pour lui une sorte de rêve absolu.
On a prêté de nombreuses vies à
Philippe, on lui a inventé de multiples personnages :
père naturel de Steve Jobs, double de Konrad Lorenz,
fils naturel de Saint-Simon, séducteur à la
solde des Américains, rédacteur du petit livre
rouge, version française de Warren Beatty. On
laurait plus difficilement imaginer en banquier.
Pourtant, Philippe revint un jour de BBDO New York avec une
nouvelle idée : lagence était une banque
daffaires. Pour lui, les agences de publicité
conventionnelles ressemblent toutes
désespérément à de petites
banques commerciales. Il voulait être aux autres
agences ce que les banques daffaires sont aux banques
commerciales. Pour cela il aurait suffit de créer
à quelques uns le maximum de richesses au travers des
idées, la valeur de lidée étant
rapportée directement à largent
quelle rapporterait. On paie toujours trop cher les
images, jamais assez cher limagination. Pour Philippe,
la publicité, quand elle est digne de ce nom, ouvre
les marchés, défait les monopoles,
accélère les mutations :pour Philippe, elle
rend le capitalisme jubilatoire. Jubilatoire,
cétait son adjectif
préféré. Il adorait
senthousiasmer pour une idée, un script, une
trouvaille inattendue. Une bande des cents meilleurs films,
conçus sous lautorité ou plutôt
sous linspiration de Philippe a été
reconstituée. Jen ai choisi 5 pour vous, ceux
qui, à mon avis, le faisaient jubiler. Le film Schick
(tourné par Jean-Luc Godard) date de 1971. Aucune
année ne fut creuse dans les 25 que Philippe a
consacré à la publicité. Dans ce milieu
qui en manque souvent, cette constance fit de lui le mythe
quil est devenu, la légende qui a grandi au fil
des ans. Son mode de fonctionnement était « qui
maime me suive », cest en ce sens
quil avait vraiment un côté charismatique
pour ceux qui lont connu, un côté
maître au sens socratien du terme. Un accoucheur
desprits, un expert en maïeutique. Quand un chef
de publicité venait le voir en mal
dimagination, à court didées, il
disait : « Il me faut de la matière ». Il
avait lhabitude de dire à ses collaborateurs :
« Quand vous avez un problème, mettez toujours
la matière sur la table, de la matière
jaillira lidée. » Cela me fait bien
sûr penser à sa passion pour la sculpture. Pour
ces statues de sable quil a crées sur les
plages du monde entier On y retrouve le côté
éphémère de ces idées quil
faisait naître de la matière. Son rapport
à la création, cétait un rapport
de sculpteur. De sculpteur de cerveau à la limite,
mais de sculpteur. Quelques années avant sa
disparition, Philippe avait été coopté
aux Beaux Arts. Plusieurs tonnes de marbre de Carrare
ly attendaient. Son professeur, son maître en
sculpture les lui avaient réservées. Dans la
sculpture comme pour le reste, il se donnait totalement.
Avec Allen Chevallier et Jean-Loup Le Forestier, Philippe
ma engagé chez Dupuy Compton en Février
71. Je suis peut-être le plus vieux commercial en
activité quil ait recruté. Le temps a
passé. Et jai appris à mieux le
connaître. Ce que je sais, et ce sera ma conclusion,
cest quil a suscité des amitiés
incomparables. Je pense à Bernard Roux qui
était si proche de lui. Je pense à
Benoît Devarrieux , cet être aussi paradoxal que
létait Philippe. Benoît eut, après
sa disparition, lextrême délicatesse de
demander à Isabelle la permission de rejoindre CLM.
Je pense aussi à tous ces gens de CLM que je ne
connais pas et qui laimaient profondément.
Philippe était habité et je souhaite à
son successeur à la tête de son agence, je veux
parler de Christophe Lambert, de lêtre tout
autant. Avant de conclure, je voudrais remercier
Grégoire Delacourt pour son idée, son hommage
à Philippe sous forme daffiche. Ce visage si
familier, cette ironie qui ne la jamais quitté,
toute cela est revenu en un instant parmi nous. Philippe a
constitué une communauté nomade, artistique,
spirituelle, qui ne ressemble en rien à la
société comme on la connaît, avec ses
blocages, ses pesanteurs, ses frontières, et qui
montre aux entreprises et aux institutions que
limpossible est toujours possible. Cette
communauté nomade et secrète, Philippe
lanime encore :
elle rassemble toujours Olivier Bensimon, Jean-Claude
Lacoste, Philippe Chatillez, Gérard Jean, Jean-Claude
Cheval, Marie-Catherine Dupuy et, plus récemment,
Benoît Devarrieux, Etienne Chatillez, Pierre
Ber-ville, Rémi Noël, Gilles Soulier, Lucie
Pardo, Hervé Chadenat, Pascal Manry, Bruno le Moult,
Pascal Mida-vaine, Philippe Chanet, Serge Fichard, Capucine
Chotard, Eric Holden... et bien sûr Grégoire
Delacourt. Dans une grande agence, il y a toujours eu,
à un moment de son histoire, le rêve dune
telle communauté. Philippe a porté ce
rêve jusquau bout. Je ne sais pas si on peut
reprendre les rêves des autres : ce que je sais,
cest quon peut y puiser lénergie
qui nous rend plus fort. Voilà ce que nous devons
à Philippe.
Jean-Marie Dru Paris, le
14 Octobre 1996
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