Le café Serin, ancêtre du Welcome
Limmeuble de la place Maurice-Sailland, bien connu des Angevins sous le nom de Welcome, aujourdhui dédié aux retraités et aux réceptions angevines, se présente comme un bâtiment double : une longue construction en façade sur la place, avec toiture en terrasse, accolée en 1930 à un grand immeuble de 1859 dont on naperçoit plus que les parties hautes.
En 1838, un certain Théodore Régulier tient un café à lemplacement de ce grand immeuble, mais la façade de son établissement est tournée vers la rue Saint-Aubin. Le nouveau cafetier François Serin, originaire de Béziers, mentionné dans le recensement de 1856, fait reconstruire limmeuble en 1859, date portée sur la lucarne centrale du bâtiment, du côté de la place Saint-Martin. Les salles sont ornées dun riche décor Napoléon III où se trouve encastrée une horloge dont le cadran porte la mention « Café Régulier ». Serin ne sétait pas encore fait un nom. Lensemble existe toujours, aujourdhui intégré dans les « salons Curnonsky » (Welcome). François Serin, en homme avisé, réussit à faire de son établissement le café le plus animé et le plus renommé de la ville, bien avant le café Gasnault de la place du Ralliement, ouvert vers 1850, et dont la célébrité sera plus tardive.
Le café Serin
Le Guide Joanne Itinéraire général de la France, la Loire et le Centre ne cite-t-il pas, en 1868, comme seul café à Angers, le café Serin, rue Saint-Aubin, « établi dans un magnifique bâtiment avec façade ornementée de briques et précédée, sur la place Saint-Martin, dune grille et dun escalier monumental » ? Cest quil y avait là salle de concert, de billard, cercle déchecs et petit théâtre pour lopérette et la musique bouffe, précisément inauguré en 1868. Le petit théâtre servait de café-concert et pour toutes sortes de spectacles. En juin 1879, M. et Mme Peppino, ventriloques et musiciens, exécutent des extraits dopéras sur leur matophone, instrument en cristal. En janvier 1880, cest Ancilloti, Samson moderne, qui donne une séance de tours de force. Il se produit quelques jours après rue du Quinconce, aux Folies angevines, également propriété du cafetier Serin et prévient quil fera « des exercices beaucoup plus difficiles, ayant un plus grand espace à sa disposition et nayant pas le public aussi près de lui ».
Autre témoignage, non des moindres, celui de lécrivain américain Henry James, en voyage en France en 1877 (A little Tour in France, chapitre 14) : « Je nai pas dautre souvenir d'Angers, à part le vieux café Serin, curieux établissement où, après avoir dîné à l'auberge, j'allai attendre le train [
]. Le café Serin est remarquable par sa grande taille et son ambiance de splendeur passée, ses dorures ternies et ses fresques noircies par la fumée, ainsi que par le fait qu'il se dissimule au deuxième étage d'une maison sans prétention [
]. Il ressemble peu à un endroit où l'on s'arrête mais, une fois qu'on l'a trouvé, il s'impose avec la cathédrale, le château et la maison d'Adam comme l'un des monuments historiques d'Angers ».
L'ancien café Serin, devenu Café du Progrès, vers 1905. Arch. mun. Angers, 4 Fi 2370.
Pressenti pour la nouvelle poste...
Des publicités, parues en 1880 dans le Journal de Maine-et-Loire, donnent dautres précisions, car le café na pas laissé darchives : « Grand café Serin, Ed. Hubert, successeur. À partir du 1er juin : glaces, sorbets, tous les soirs. Terrasse réservée pour familles. Entrée place Saint-Martin ». Édouard Hubert nest probablement quun gérant. Les Serin restent propriétaires. En 1886, le café manque dêtre emporté par le projet de reconstruction de lhôtel des Postes. Retenu pour son importance et ses trois entrées (rue Voltaire, place et rue Saint-Martin), il fait partie des projets soumis au conseil municipal. Cependant les différences de niveau le desservent, tout comme sa situation, dissimulée de tous côtés par des maisons. La Poste sagrandit finalement à son emplacement originel, place du Ralliement. Cest seulement en 1937 quelle sinstalle place Saint-Martin, mais face à lancien café, devenu le Welcome.
Vers 1905, les Serin cèdent létablissement à leur gérant depuis quelques années, François Gazeau. Le nom change, mais le décor subsiste : le nouveau café du Progrès senorgueillit toujours des boiseries et glaces de lancien. Lentrée se fait au 18 rue Saint-Martin. Le rez-de-chaussée du bâtiment abrite limprimerie Hudon jusquen 1927, tandis quà la place du futur Welcome se trouve un marchand de charbon.
Sylvain Bertoldi
Conservateur des Archives dAngers
(Vivre à Angers, juin 2001)